A ParisWeb cette année, l’ambiance était à rêver sur le futur des professions du web. L’occasion pour certains auditeurs et conférenciers de méditer sur le rôle éthique de l’UX Designer dans les années à venir.
Sabine Condiescu est l’une d’entre eux. Elle aborde dans sa conférence “L’Ere de l’analyse à tout va, ou comment les applications nous rendent accro à leurs produits”, la question des réseaux sociaux et des dérives comportementales qu’ils peuvent entraîner chez les utilisateurs.
Les Messageries instantanées
Prenons l’exemple des boîtes de messageries instantanées des réseaux sociaux.
Depuis quelques temps, lorsque nous discutons avec quelqu’un, nous pouvons observer trois points de suspension qui s’agitent en bas de l’écran : cela nous informe que notre interlocuteur est en train de nous répondre.
Selon Sabine Condiescu ce renseignement anodin peut être scruté et être angoissant dans la mesure où la réponse ne vient pas. Si l’interlocuteur est en train d’écrire quelque chose et que finalement il se ravise, il se peut que nous nous demandions pourquoi et que cette question nous obsède.
De la même manière, sur un grand nombre de messageries, il est possible de savoir, grâce aux statuts, si (et à quelle heure) un message a été vu. Si l’on attend la réponse de l’autre avec impatience et que trois jours plus tard il n’a toujours pas répondu, une appréhension peut se créer.
Mettons-nous à la place de l’interlocuteur de l’exemple ci-dessous.
Nous recevons un message que nous lisons mais nous ne souhaitons pas y répondre tout de suite : Pas assez occupé pour le lire mais trop occupé pour ne pas pouvoir prendre le temps d’y répondre ?
De multiples raisons peuvent nous amener à ce genre de comportement, mais une pression sociale due au fait que nous savons que l’autre a eu un feedback de notre lecture nous incite à répondre le plus vite possible. On ne peut pas juste l’ignorer en feignant de ne pas l’avoir vu.
Vous l’aurez compris, ce que souhaite nous dire Sabine Condiescu est que ces feedbacks sont néfastes car ils provoquent un stress pour les utilisateurs.
Cette inquiétude de l’attente de réponse existait déjà à l’époque des échanges épistolaires et des petits mots glissés subtilement. A moindre échelle car nous étions moins “connectés” qu’aujourd’hui… et sans doute plus patients.
Le ressenti évolue en fonction de nos capacité technologiques, et ce dans une société où nous sommes de plus en plus dans l’instant/l’immédiateté. Ces sentiments d’impatience ne peuvent que grandir, avec des générations de plus en plus demandeuses de feedbacks – en attente du nombre de likes / messages / commentaires pour se rassurer sur soi-même.
Conséquence de cette impatience, les utilisateurs passent de plus en plus de temps sur ces mêmes réseaux. Sabine Condiescu nous signifie qu’en plus de créer des comportements anxiogènes, les réseaux sociaux nous rendent accros.
Instagram / Snapchat
Sur Instagram les stories nous incitent à nous connecter régulièrement afin de ne rien rater de l’actualité des personnes que nous “suivons”. Ephémères, les stories ont une durée de vie de 24 heures. Par conséquence nous avons besoin d’être sur-connectés afin de ne pas perdre des informations qui nous paraissent essentielles…
Sabine Condiescu cite également l’application Snapchat, un réseau social qui a beaucoup de succès chez les adolescents. Les utilisateurs obtiennent une récompense sous la forme d’une flamme quand ils échangent très régulièrement avec d’autres personnes. Résultat : plus nous obtenons de flammes plus nous sommes “populaires”. Et si la relation n’est pas entretenue la flamme meurt. Belle allégorie de la vie !
Snapchat – en utilisant la notion de récompense – pousse ses utilisateurs à revenir sans cesse sur l’application afin de préserver les succès obtenus.
Gamification
Cette volonté d’offrir des récompenses est ce qu’on appelle la “gamification” d’une application. Entre nous, cette stratégie est d’une efficacité redoutable. Sur le site Senscritique par exemple, les membres du réseau font l’objet d’une évaluation par leur pairs grâce aux badges. Plus un membre à de badges, plus il est actif sur le réseau et plus il gagne en notoriété. Obtenir des badges du type “500 fois” soit avoir rédigé 500 critiques, “prêcheur” inviter une personne à rejoindre la communauté ou encore “Le vote compte” qui consiste à donner des notes, devient donc un jeu qui offre énormément de satisfactions et qui pousse l’utilisateur à être toujours plus présent sur le réseau.
L’idée de perdre ce qui a été acquis difficilement ou de rater une information sociale cruciale qui nous permettra de montrer aux autres qu’on est à la page est difficile à envisager pour beaucoup d’entres-nous, nous nous sentons “obligés” d’être à l’affût des notifications. Toujours prêts à dégainer la nouvelle arme sociale, nos téléphones !
Pour Sabine Condiescu, l’addiction est malheureuse car les réseaux sociaux distraient notre attention et empêchent notre concentration quotidienne.
Elle illustre son propos par une étude réalisée par Microsoft au Canada en 2015. Cette étude confirme que notre durée moyenne d’attention est passée de 12 secondes en 2000 à 8 secondes en 2015, les chercheurs suggèrent que les notifications du téléphone et l’alternance entre les micro-tâches invitent le cerveau à délaisser les longues périodes de concentration. Microsoft rappelle qu’un poisson rouge peut rester concentré pendant 9 secondes…
Sabine Condiescu conclut sa conférence en pointant du doigt les stratégies commerciales qui selon elle ont prises de mauvaises décisions. Si en tant qu’UX designer nous pouvons anticiper ce genre de conséquences, il est de notre devoir de ne pas encourager l’utilisations “d’outils” qui pourraient conduire à des problèmes comportementaux : angoisse, impatience, addiction, baisse de la concentration, etc. Pour elle il est question de choix éthiques.
Il est vrai que notre métier est de sans cesse nous remettre en question en nous demandant si nous allons dans le bon sens. En employant dans nos designs les feedbacks des réseaux sociaux et la gamification, nous invitons les utilisateurs à rester en alerte et à revenir régulièrement sur nos sites et applications. Dans des optiques de conversions et d’augmentation des leads, nous encourageons très clairement une sur-connexion : l’utilisateur est satisfait de son expérience donc il revient.
Cela dit, peut-être devons nous dès aujourd’hui nous demander si les nouvelles technologies et les gimmicks des réseaux sociaux sont une vraie plus value pour nos utilisateurs, ou s’ils ne sont, comme le décrit Sabine Condiescu, que des outils commerciaux anxiogènes.